Journal Le Courrier de Saône et Loire, du 16 novembre 1967
Enquête de Roger ODINOT, photos de Lucien ROUET

UN CENTRE D’APPRENTISSAGE HORS SERIE
L’école du service électrique et de signalisation SNCF de Santenay-les-Bains
 
Pour critiquable qu’il soit actuellement, dans une certaine mesure, je ne suis pas de ceux qui, systématiquement, condamnent l’enseignement tel que le conçoivent ministre et hauts fonctionnaires de l’Education nationale.
Leur tâche est ardue, la solution difficile dans le contexte général du problème, et je rends hommage ici, à ceux qui ont accepté la lourde charge d’étayer une charpente scolaire continuellement flottante : les poutres sont de plumes, les solives de papier.
Et pourtant ! Le toit souvent très solide pour peu que se conjuguent les efforts de différents ministères, dont certains des buts peuvent être communs.
L’établissement menacé fermera-t-il ses portes ?
De nombreux exemples sont à citer dans ce domaine. Nous nous bornerons, ici, à n’en donner qu’un seul, au simple niveau de l’enseignement technique. Non pas tant parce qu’il touche précisément notre région, mais bien par l’illustration qu’il fournit d’un manque de coordination au faîte des organisations nationales.
Les charpentiers peuvent être de très bons ouvriers, mais, hélas ! si leurs chefs de chantiers ont des divergences de vues, l’assemblage devient très difficile.
La France compte actuellement encore cinq écoles SNCF, section voies et bâtiments, destinées à la formation d’agents du service électrique.
Ces écoles constituent un exemple de promotion sociale exceptionnelle et permettent aux familles peu, ou pas aisées du tout, de donner un métier à leurs enfants.
Au sortir de leur troisième (nantis ou non de leur BEPC) les jeunes gens intéressés, s’ils réussissent le concours d’entrée, sont admis dans l’une des cinq écoles, suivant les régions. Dès lors, ils touchent un salaire équivalent à leur pension et, suivant leurs notes, se voient attribuer une somme mensuelle (destinée à leur argent de poche) plus ou moins importante.
C’est tout simplement sensationnel ! Voilà des jeunes qui sont payés pour apprendre un métier, un bon métier de technicien SNCF; est-il oeuvre ou promotion sociale mieux organisée ?
Mais sans doute est-ce trop beau pour que cela dure.
De source officieuse, en effet, mais néanmoins sûre, nous avons appris qu’il était question de fermer plusieurs de ces écoles (et il n’y en a que cinq).L’une des premières touchées devant être celle de Santenay-les-Bains (Côte d’Or), qui concerne la région Sud-Est Méditerranée. On ne connaît pas les raisons exactes d’un tel dessein. Pourquoi un grand service public comme la SNCF serait-elle contrainte de fermer plusieurs de ses écoles d’apprentissage, au moment où l’Education Nationale a tant de peine à accueillir les jeunes gens dans ses collèges techniques ?
La question reste posée, car jusqu’à présent le mutisme le plus complet est observé à ce sujet, dans tous les services intéressés, régionaux ou nationaux.
A l’école de Santenay, que nous avons visitée, M. Hallès, le directeur, a bien voulu nous éclairer sur le fonctionnement de son établissement et l’enseignement qu’il prodigue ; quant à la fermeture envisagée de l’école, sa réponse fut approximativement celle-ci : « je ne connais rien d’officiel et tout ici continue à fonctionner normalement ». Un point c’est tout.
D’une façon comme d’une autre, il est à souhaiter que les quelques lignes qui vont suivre, et surtout les clichés qui les accompagnent, soient en mesure de faire revenir sur leur décision les personnalités ayant suggéré la fermeture de ces écoles d’avant-garde.
 
Un cadre exceptionnel
 
A Santenay, dans le cadre merveilleux de l’ancien hôtel Carnot, véritable château, construit à la fin du 19ème siècle à l’usage de station thermale, et devenu hôpital militaire durant la dernière guerre, la SNCF a ouvert, en 1946, un centre d’apprentissage pour former ses électriciens.
A deux pas des sources les plus lithinées connues, cette école pourrait être qualifiée de paradis pour étudiants, tant elle jouit d’installations vastes, aérées, lumineuses.
Le parc est immense et offre aux quelques 88 élèves (tous pensionnaires) du moment, le moyen de pratiquer les disciplines sportives de leur choix.
Le bâtiment, lui , est de même proportion. Cuisine, réfectoires, salles de cours, ateliers, dortoirs, etc... tout y est spacieux et clair.
Tous les atouts sont véritablement donnés aux futurs spécialistes en signalisation du service VB pour préparer leur CAP de monteur dans les meilleures conditions.
La preuve en est que, chaque année, 90% des candidats présentés au certificat d’aptitudes professionnelles sont reçus. Le résultat est éloquent et se passe de commentaire.
Est-il besoin d’ajouter que les cours, prodigués durant les trois années d’apprentissage, sont supervisés par l’Inspecteur de l’Enseignement technique, tandis que les épreuves du CAP sont contrôlées par l’Académie de Dijon.
Par contre, les professeurs eux, ne sont pas membres de l’Education nationale, mais tout simplement cheminots, sélectionnés parmi le personnel de maîtrise ou cadres de la SNCF.
Enfin, le bagage que donne le CAP aux élèves est solide. Pour exemple, nous dirons que le monteur SES possède une culture générale et des connaissances en mathématiques du niveau de la classe de première, tandis qu’en matière d’électricité, il est à inscrire au rang des techniciens, voire des techniciens supérieurs.
Dans 60% des cas, le CAP ne sera qu’un tremplin, qui conduira les jeunes agents à accéder, par concours, au rang de la maîtrise ou des cadres SNCF VB.
 
Un matériel important
 
Nous l’avons dit plus haut, les installations mises à la disposition des apprentis, à Santenay-les-Bains, sont extrêmement importantes et bien conçues, à tous les échelons.
Des cuisines ultra-modernes, trois réfectoires (un pour chacune des trois classes) une dizaine de petits dortoirs parfaitement meublés, des blocs sanitaires et salles de douches parfaits, une chaufferie à trois chaudières et 170 radiateurs : voilà pour le confort des élèves.
En ce qui concerne leur instruction, les salles de cours théoriques sont classiques, mais dans les compartiments techniques et pratiques, on trouve un matériel considérable et très perfectionné. Le dernier aménagement spectaculaire est, sans aucun doute, l’installation de la salle de cours Electrotechniques, pour la manipulation des mesures électriques. Cette salle fonctionnera dans trois semaines, dès que les élèves auront effectué eux-mêmes les câblages.
Ajoutons à cela l’affectation de l’ancienne salle des mesures, à la partie électronique exclusivement, ainsi aurez-vous un aperçu du modernisme de cette école que l’on ne peut se résoudre à voir disparaître décidément.
Un bâtiment annexe est réservé à la manipulation de tout le matériel technique purement SNCF ; un autre renferme une forge, tandis que, côté parc, une ligne de chemin de fer, grandeur nature, nantie de tous les signaux lumineux, a été construite spécialement pour des travaux pratiques.
Notre visite se termine par l’élément de fierté de la maison : une maquette entièrement réalisée par les élèves et qui fait rêver tous les petits garçons amateurs de petits trains électriques.
Côté loisirs, football, volley, basket, ping-pong, athlétisme et même golfe miniature, voile : autant de sports que peuvent pratiquer les apprentis en extérieur, tandis que l’école possède enfin une troupe de théâtre, une chorale et un orchestre.
 
Telle peut être brièvement résumée l’importance d’un centre d’apprentissage comme il en existe peu en France. Il constitue un modèle du genre et emploie une trentaine de personnes, dont quinze agents ou cadres SNCF, et quinze employés recrutés sur place, à Santenay.
 
Quinze personnes au moins seraient donc touchées durement par une fermeture éventuelle qui demeure à nos yeux impensable, inimaginable.